Le courant-jet agit comme un véritable transporteur de tourbillon d'ouest en est, au point qu'on a coutume de le désigner comme le "rail" des perturbations nord-atlantiques, car c'est parmi ces zones à tourbillon élevé qu'iront parfois se cacher les précurseurs des tempêtes — des noyaux de tourbillon "potentiellement" évolutifs, qui sont d'autant plus difficiles à déceler qu'aucune image satellite n'est capable de les mettre en évidence ; mais en temps normal, les tourbillons se contentent d'accompagner l'avancée du courant-jet en rendant moins brutale la diminution du vent lorsque décroît l'altitude, du moins dans les couches les plus proches de la tropopause . À l'inverse, des tourbillons accompagnent l'avancée du flux d'air proche de la surface océanique tout en permettant d'atténuer l'augmentation du vent lorsque croît l'altitude, du moins dans les couches les plus proches de la surface.
En fait, ces advections indépendantes de tourbillon sont par elles-mêmes trop faibles pour résorber l'état d' instabilité barocline de l' atmosphère . Mais ce qui se produit parfois, c'est un véritable phénomène de résonance entre un tourbillon en surface, situé plus en aval du courant général, et un tourbillon près de la tropopause, situé plus en amont de ce courant : on voit alors se former une boucle dynamique dans laquelle, en aval, l' air tourbillonnant traverse la troposphère depuis la surface jusqu'au courant-jet en créant une dépression en surface qui n'est autre que la perturbation atlantique ; en amont, ce sont corrélativement des subsidences sèches et froides, souvent violentes, qui viennent rejoindre la surface et compléter la boucle. Si ce système conduisant à la cyclogénèse peut fonctionner, c'est bien sûr parce qu'il reçoit de l'énergie : et en effet, le courant-jet lui transfère l' énergie potentielle nécessaire, non sans subir lui-même, souvent, des "bousculades" dans sa trajectoire et sa hauteur ; la condition sine qua non de l'amorce d'un tel moteur est que la dépression traverse le lit du courant-jet et puisse ainsi se creuser en étant alimentée par son flux d'air.
Il est bien délicat d'appréhender quelle peut être la cause initiale de ces "mises en phase" qui aboutissent à la formation rapide de perturbations : serait-ce un à-coup du courant-jet, une amplification d'un précurseur, une poussée d'une ascendance ? Il semble en fait que toutes ces raisons soient envisageables selon les circonstances. Mais avant même que la boucle ait été formée, parachevant alors le processus de cyclogénèse, on constate que l'air chaud soulevé par le tourbillon en aval, ainsi que la disposition de ce dernier par rapport au tourbillon en amont, suscitent un processus de frontogénèse : celui-ci se caractérise en surface par l'émergence de lignes de variation brutale dans la direction du vent , la pression et la température , et en altitude par le développement d'un système nuageux dont la forme mature, plaquée sur les lignes précédentes, s'organise selon une structure "en lambda" (d'après la forme de la lettre grecque λ) très familière aux météorologues, avec la tête , le front chaud , le secteur chaud , le front froid , la traîne et, en fin d'évolution, l' occlusion ; cette dernière coïncide avec le début du comblement de la dépression, après qu'elle a traversé, du sud-ouest au nord-est à peu près, la trajectoire du courant-jet.
Les cyclogénèses explosives
Les vents entretenus par le système dynamique associé à une perturbation de tempête extratropicale tournent autour de son centre dépressionnaire dans le sens inverse des aiguilles d'une montre (dans l'hémisphère Nord), tandis que le courant général qui porte cette perturbation continue à faire progresser la dépression dans un sens général ouest-est ; dans ces conditions, si les vents tourbillonnaires soufflent approximativement en sens inverse du courant général, comme c'est en gros le cas au nord de la perturbation, le vent résultant sera faible, mais si au contraire ils soufflent à peu près dans le même sens que le courant général, comme c'est en gros le cas au sud de la perturbation, les vitesses des deux types de vent vont s'additionner et créer au-dessus de la surface des conditions de tempête qui peuvent être terribles. Il arrive alors que l'on assiste à la genèse de véritables courants-jets proches du sol, qui suscitent des désastres en longeant la limite du front froid avant de s'élever peu à peu en direction du front chaud.
Nous sommes très peu habitués à ce genre de situations, parce que la situation courante du "rail" nord-atlantique a pour conséquence que les centres des perturbations restent au-dessus de l'océan et se situent bien plus au nord que le continent européen : de la sorte, les vents d'ouest qui nous frappent sont suffisamment éloignés des centres des dépressions pour que leur force ne frôle pas celle des ouragans . Il n'en reste pas moins que dans les mers du nord de l'Europe peuvent parfois se soulever des tempêtes d'une puissance extrême, particulièrement quand le courant-jet atteint une vitesse très supérieure à la norme. Dans de tels cas se manifestent fréquemment deux phénomènes : le premier, surnommé cyclogénèse explosive , consiste en la rapidité fulgurante de l'établissement du système dynamique qui permet à la perturbation tourbillonnaire de se créer et de se creuser jusqu'à atteindre en quelques heures une pression très basse ; le second n'est autre que la vitesse prodigieuse — de l'ordre de la centaine de km/h — avec laquelle cette perturbation parcourt sa trajectoire au sein du courant général. De ce point de vue, les deux ouragans du 26 décembre 1999 et du 27 au 28 décembre 1999 qui ont dévasté la France et les pays voisins étaient, par leurs performances, moins extraordinaires qu'il n'y paraît : ce qui les a rendus si incroyables, c'est la position du courant-jet ces jours-là — il était beaucoup plus au sud que d'habitude — , et aussi sa vitesse — le vent y dépassait largement les 400 km/h — , de sorte que des fléaux qui habituellement ne touchent que des espaces marins dépeuplés ont cette fois frappé de plein fouet des terres et des villes.
Le transfert turbulent d'énergie entre air tropical et air polaire
Ces deux événements ont illustré un autre trait caractéristique des perturbations atlantiques : leur aptitude bien connue à se succéder en "trains", comme si l'instabilité barocline avait la capacité de réapparaître vite et de favoriser à certaines périodes des successions tendues de mises en phase entre tourbillons à la surface et à la tropopause. Et pourtant, cette instabilité , qui semble un facteur de désordre, est en fait tout autant nécessaire à l'équilibre énergétique de la planète que l' instabilité convective , laquelle contribue à assurer l'équilibre vertical de l'atmosphère troposphérique en tempérant l' effet de serre . En effet, lorsque nous parlons de "tourbillons", donc de turbulence , en qualifiant l'ascendance de l'air d'origine tropicale dans les perturbations atlantiques, nous ne faisons rien d'autre qu'expliquer le moyen par lequel cet air tropical piégé dans le courant tempéré d'ouest — donc devenu incapable d'apporter de la chaleur sensible et de la chaleur latente par le simple flux de la circulation générale à l'air d'origine polaire — parvient quand même à lui transférer ces quantités énergétiques en y "larguant" de tels tourbillons. Le comblement de la dépression n'est alors pas vraiment le signe de la disparition du système dynamique (le courant-jet récupère d'ailleurs à ce moment son énergie potentielle), mais plutôt celui d'une pause avant la remise en marche de ce système en vue d'effectuer un nouveau transfert turbulent d'énergie de l'air tropical vers l'air polaire.