Edito
Edito
François Gourand, jeune météorologue passionné par le milieu polaire, la météorologie et l'environnement, a rejoint le 18 décembre 2008 la base Dumont d'Urville en Terre Adélie. Il participait à la 59 ème mission d'hivernage de cette station scientifique installée sur l'île des Pétrels, encerclée par la banquise en hiver, à 5 kilomètres du continent Antarctique. François a partagé durant 12 mois la vie des 30 hivernants de ce campus universitaire pas comme les autres. Accessible uniquement durant l'été austral, il est exposé à des conditions extrêmes : températures variant de 0°C à -40°C, blizzard, longues nuits polaires, vents jusqu'à 300 km/h.
Avant son départ, François nous confiait : "Tout me destinait à venir un jour à Dumont d'Urville et c'est avec cet espoir que j'ai mené mes études scientifiques. L'Antarctique, sanctuaire scientifique largement méconnu, continent de tous les extrêmes, est à la fois hors de "notre" monde et une pièce essentielle de la machine climatique globale. J'espère, à travers ce journal, témoigner d'une expérience humaine et scientifique dans un milieu extraordinaire."
Ce Journal relate l'aventure de François tout au long de l'année 2009.
Isabelle Doudelle
Météo-France
La Terre Adélie, ça se mérite...
Janvier 2009 : La Terre Adélie, ça se mérite...
Voici une année que je me prépare : je fais partie de la 59ème équipe d'hivernants en Terre Adélie (Antarctique), en qualité de responsable du Bureau météorologique. La Terre Adélie est l'un des 5 districts des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) avec Crozet, Kerguelen, Amsterdam et les îles Eparses. La France y mène des recherches scientifiques dans de nombreuses disciplines. Chaque année, une nouvelle équipe prend la relève. La station météo de la base Dumont d'Urville connaît une activité permanente depuis 1956. Notre mission consiste à réaliser des observations chaque jour de l'année, quelles que soient les conditions. Même en cas de tempête du terrible vent local, le vent catabatique qui souffle des pentes du continent parfois à plus de 200 km/h.
Rejoindre la Terre Adélie depuis Paris est un long voyage : départ le 8 décembre 2008 pour Hobart en Tasmanie, soit 36 heures de vol et deux escales (à Hong-Kong et Sydney). A Hobart, nous prenons place sur le navire brise-glace l'Astrolabe, seul moyen de traverser les 2700 km de mers australes qui nous séparent de la base Dumont d'Urville. Ce bateau effectuent 4 missions de transport et de ravitaillement (appelées rotations) entre fin octobre et début mars. Le reste du temps, la banquise empêche de pénétrer ces eaux polaires.
Les opérations de chargement du navire se poursuivent durant 48 heures. Cela nous laisse le temps de faire connaissance avec nos compagnons de voyage et de découvrir l'Astrolabe sur lequel nous allons vivre 5 ou 6 jours. Conçu pour briser la glace sous son poids, ce navire est doté d'un fond quasi plat qui le fait bouger en tous sens, même sur une mer peu formée. Or, les mers du Sud sont parmi les plus redoutables du monde : la houle s'y propage sans obstacle sur des milliers de kilomètres. Ce navire a donc une certaine réputation...
L'Astrolabe accueille une vingtaine de passagers à son bord, en plus de la dizaine de membres d'équipage. Cette équipe de relève réunit des scientifiques issus de divers laboratoires de recherche, un médecin, Laurence de la Ferrière qui dirigera la base pendant l'année 2009 et des personnels chargés de missions logistiques et techniques essentielles (cuisinier, plombier, électricien...).
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Départ d'Hobart | A bord de l'Astrolabe |
Samedi 13 Décembre au matin, nous quittons Hobart dans une petite tempête : 14°C et 25 nœuds de vent, vive l'été austral ! Lorsque nous arrivons en fin de journée sur l'océan, la pluie a presque cessé et le ciel s'éclaircit. La fatigue accumulée du long vol et du décalage horaire ont raison de mon excitation. Cette première nuit en mer se déroule bien malgré le mouvement permanent.
Levé tôt, j'assiste dimanche 14 décembre à mon premier lever de soleil dans les quarantièmes. Le temps est magnifique, frais (13°C), mais au soleil, l'impression est délicieuse. Dimanche soir, on aperçoit nettement sur l'horizon la dépression que nous allons croiser. Ca bouge passablement pendant la nuit, mais avec la fatigue, je dors par intermittence.
Lundi 15 décembre, le refroidissement à l'arrière de la dépression est sensible, de 7.5°C le matin, à 4.5°C en début d'après midi, avec un frais vent de Sud-Est. Le ciel lumineux de la fin de journée me permet d'observer l'immense océan et le ballet étonnant des pétrels et albatros dans le sillage du bateau. Il y a peu de mer, mais le bateau remue tout de même, à cause de son fond quasi-plat. L'allongement des jours en allant vers le Sud est perceptible d'un jour à l'autre.
Mardi 16 décembre vers midi, par 57°30'S et 143°32'E, nous voyons voltiger les premiers flocons de neige de notre été austral, par +2°C. Nous approchons de notre destination, le vent d'Est se renforce, la température baisse aux alentours de 0°C.
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Mercredi 17 Décembre, dernier jour complet en mer. L'arrivée est prévue pour le lendemain à DDU, abréviation pour Dumont D'Urville rapidement adoptée par nous tous. Dans la matinée, je repère au loin ma première baleine. A la mi-journée, notre position est 63°11'S et 141°32'E. L'apparition des icebergs attire tout le monde sur le pont. La météo sera favorable jusqu'au bout. A l'exception de la seconde nuit, assez agitée, la traversée a été dans l'ensemble plutôt calme. Sur le pont, Vincent l'ornithologue nous apprend à reconnaître les nombreux oiseaux : pétrels antarctiques, damiers du Cap, fulmars antarctiques, prions. Les icebergs deviennent plus nombreux et imposants.
Vers 5h, jeudi 18 décembre, une surprise m'attend : la glace entoure le bateau. L'Astrolabe a nettement ralenti son rythme car le pack (banquise flottante permanente) se révèle plus épais que prévu. Nous nous trouvons par 65°30'S, à un bon degré de latitude de notre destination. J'aperçois mes premiers manchots sur une plaque de glace dérivante, puis plus tard, un phoque qui se repose sur un autre morceau...
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La glace entoure le bateau | Nous tentons d'apercevoir le continent |
Le bateau progresse à 3-4 nœuds et heurte de plus en plus souvent, parfois violemment, des morceaux de glace, qu'il brise. Les conditions sont merveilleuses : mer d'huile, ciel souvent bleu, icebergs d'un blanc éclatant, aux formes riches et aux reflets variés. A la mi-journée, le 66ème parallèle franchi, nous tentons d'apercevoir l'Antarctique sur l'horizon. En début d'après midi, une ligne blanche continue apparaît sur l'horizon : il s'agit bien du continent ! La pente de la calotte est vraiment impressionnante, c'est la vision la plus inattendue pour moi.
La calotte aperçue, chacun cherche à apercevoir le premier la base : impossible de la distinguer pour le moment. Nous avons pris une route très à l'Ouest pour contourner un bout de banquise trop compact. Nous scrutons l'horizon et guettons la faune locale depuis la passerelle et le pont, toute la journée, souvent en silence, pour mieux goûter cet environnement magique.
En fin d'après-midi, nous découvrons pour la première fois entre deux icebergs la grande antenne de la base, appelée "mât iono", située à l'Ouest de l'île des Pétrels et la petite base annexe de Cap Prudhomme, sur le continent. Après avoir contourné un dernier iceberg, nous avons la pleine vue sur la base Dumont D'Urville ! A notre approche, les gens sortent des bâtiments et descendent au pied de la banquise.
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La base Dumont d'Urville vue depuis l'Astrolabe | Préparation de l'h'élicoptère |
Il fait incroyablement bon : +4 °C, sans vent et le soleil brille. Tout le monde à bord a le sourire aux lèvres, c'est un moment assez magique. Les manchots courent non loin du bateau. Au bout d'un moment, tous les passagers font signe aux habitants de la base, sortis nous accueillir : ils nous répondent ! Le bateau cesse sa progression, bloqué par la glace, à quelques centaines de mètres de la base. Vers 18h, le débarquement des passagers et bagages commence par hélicoptère.
Jeudi 18 Décembre 2008, à 19h02 précises (9h02 UTC), soit 10h02 en France, je pose le pied sur Dumont d'Urville, à la descente de mon premier vol d'hélicoptère. C'est le grand tourbillon, tout le monde se salue et le dîner réunit près de 85 personnes ! Nous marchons sur les passerelles entre les bâtiments, au milieu des manchots Adélie, en tanguant encore un peu, après ces 6 jours de bateau. Nous faisons la connaissance des trois météorologues dont nous prenons la relève. Ils nous conduisent dans le Bureau météo, décoré des photographies des anciens collègues.
Je commence à réaliser, tout doucement, que cet endroit sera mon cadre de vie et de travail pour les 12 prochains mois. C'est le début d'une nouvelle aventure... La soirée de notre arrivée est une des plus douces de l'année, il fait toujours +4°C vers 21h, sous le soleil de l'été antarctique. Nos ornithologues nous convient à un petit tour sur la manchotière, encore accessible à pied, sur la banquise, ce qui achève donc sur une note encore plus originale cette formidable journée...
François Gourand
et Isabelle Doudelle
Photographies : Copyright Météo-France/François Gourand
Eté austral sur l'île des Pétrels
Février 2009 : Eté austral sur l'île des Pétrels
Après deux mois, nous avons pris nos marques sur "notre île" qui retrouve durant l'été austral son environnement marin. La banquise a cédé, d'abord au Nord, où les courants sont plus forts, puis la mer a grignoté le reste petit à petit. L'île se dépeuple : les jeunes manchots Adélie, dont nous avons vu éclore les oeufs à Noël, ont quasiment achevé leur mue et quittent les nids. Mes premières sorties sur la banquise, encore solide jusqu'à mi-janvier, m'avaient conduit jusqu'à la piste du Lion à pied sec. Ceux qui y travaillent se rendent là-bas en barque aujourd'hui. J'avais admiré avant mon départ des photographies de l'Antarctique. La beauté des paysages, de cet environnement polaire, est véritablement frappante lorsqu'on a la chance de la contempler.
L'arrivée en plein été a favorisé notre acclimatation : le temps est bien ensoleillé et le vent fort peu fréquent. J'attends avec impatience que les éléments se déchaînent ... Le froid, expérimenté lors de mon stage de fin d'études en Alaska, est encore modéré. Il permet de sortir sans se couvrir exagérément. La température est descendue pour la première fois en dessous de -10°C pendant trois jours consécutifs les 15, 16 et 17 février : un avant-goût de ce qui nous attend ! Le changement le plus notable depuis décembre : le jour raccourcit et laisse place depuis peu à une vraie nuit noire, de plusieurs heures.
Notre nouvelle équipe, composée de trois météorologues, a pris la relève du Bureau météo de DDU. François Touvier gère la maintenance du matériel informatique et météorologique : dépannages, préparation des systèmes de secours et des migrations. La vigilance est de mise, car les conditions de températures et de vent soumettent les installations à rude épreuve. Jean-Philippe Briot est chargé de réaliser les observations, la climatologie, le radiosondage et la prévision. Responsable de la station, j'assure une alternance avec Jean-Philippe pour les missions d'exploitation et des tâches de gestion et d'organisation.
Les locaux, situés au nord-ouest de la base, comprennent une salle d'exploitation, un atelier et un abri de gonflage pour le lâcher des sondes destinées aux mesures en altitude. Un grand tableau affiché dans le bureau d'exploitation rappelle le nom de tous les hivernants météo depuis la création de Dumont d'Urville, au début des années 1950.
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L'équipe météo de la TA59 (de gauche à droite) : Jean-Philippe Briot , François Gourand et François Touvier | François Touvier profite d'une belle journée pour repeindre l'abri météo |
La base ressemble à un campus universitaire avec des bâtiments réservés aux lieux de vie (logements, cuisine, réfectoire, hôpital, laboratoires, bureau météo, bibliothèque), d'autres abritant des équipements techniques (centrale électrique, ateliers, production d'eau douce). Des passerelles de métal relient ces installations, conçues pour résister au vent et aux températures extrêmes. Chacun dispose d'une chambre individuelle avec vue sur le continent ou l'océan. Depuis la mienne, exposée au Nord, je peux admirer l'océan, et au premier plan, la piste du Lion. Nous bénéficions d'un confort appréciable, prévu pour assurer notre bien-être durant les longs mois d'isolement de l'hivernage, entre mars et novembre. Le bâtiment "séjour", où les repas sont servis, comprend également une bibliothèque dotée de milliers d'ouvrages, une riche vidéothèque et un bar. Le Laboratoire de Géophysique abrite également une salle de musique dans laquelle j'ai d'ailleurs installé ma toute nouvelle batterie. Un groupe est en formation... je vous en dirai davantage lorsque nous serons au point.
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Vue de ma chambre le 16 janvier 2009 à 0h45. La bande sombre sur l'horizon correspond à la nuit, au Nord. | Le dortoir des hivernants (à gauche) et le bâtiment séjour (à droite) |
Les repas, pris à heures fixes (7h, 12h et 19h15), constituent de vrais moments de convivialité. Yannick, le cuisinier, y apporte un soin particulier, aidé par Vincent, le boulanger-pâtissier. La vie de notre base est rythmée par les anniversaires, tous consignés précieusement dans un calendrier. Nous avons fêté le 3 janvier le premier du 59ème hivernage, celui d'Eugénie, chimiste au Laboratoire de glaciologie. Chaque hivernant concerné confectionne ce jour-là un gâteau spécial, avec le soutien de Vincent. Nous avons lancé une tradition musicale : la chorale de la TA59 (dont je suis un membre actif) offre à chaque hivernant une chanson personnalisée. Notre équipe de météorologues propose à chaque personne qui fête son anniversaire d'effectuer le lâcher de ballon du matin. Elle se voit ensuite remettre un diplôme de... radiosondage.
La vie collective à DDU est également ponctuée par les "services base", des journées durant lesquelles nous effectuons, à tour de rôle, des tâches ménagères telles que mettre la table, servir à table, la desservir, nettoyer le séjour et les parties communes du dortoir. Deux équipes indispensables à la vie sur place ont été constituées : l'équipe médicale chargée d'aider le médecin en cas d'opération chirurgicale, et l'équipe incendie qui interviendra en cas de sinistre sur la base. Jean-Philippe fait ainsi partie de la première, et François et moi de la seconde.
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Le dortoir des hivernants, le laboratoire de Géophysique et la cabine téléphonique "du bout du monde" (de gauche à droite) | Des icebergs se détachent régulièrement du glacier voisin de l'Astrolabe. |
J'ai pris la mesure de l'isolement géographique de Dumont d'Urville en utilisant les moyens de communication disponibles. Le courrier postal se révèle peu adapté, car trop lent, et bientôt suspendu durant les 8 mois d'hiver. Le téléphone satellitaire a les faveurs de certains d'entre nous, mais, la plupart use du courrier électronique. Nous ne disposons pas d'accès à Internet, trop coûteux. Nous pouvons en revanche recevoir et envoyer des messages grâce à des connexions par satellite à heures fixes, quatre fois par jour, à 7h, 11h45, 18h45 et 23h locales. Cela permet d'échanger chaque fois que nous le souhaitons avec nos proches. Pour ma part, j'apprécie d'écrire et échanger de la sorte, et j'y consacre du temps chaque jour, parfois près de deux heures.
Accessible uniquement durant l'été austral, DDU accueille à cette période près d'une centaine de personnes, scientifiques et personnels techniques, grâce aux 4 rotations de l'Astrolabe. Nous sommes donc encore nombreux avant le véritable hivernage qui verra l'effectif réduit à 26 personnes seulement et la base coupée du reste du monde par la banquise durant 8 mois. Je profite de ce bref été pour accompagner nos ornithologues, lorsque le temps le permet, sur les autres îles de l'archipel ou encore aller pêcher en mer avec Céline, notre ichtyologiste.
François Gourand
et Isabelle Doudelle
Photographies : Copyright Météo-France/François Gourand
Cartes : copyright IPEV
Remerciements à Dominique Mysoot, opérateur radio à Dumont d'Urville, pour les deux photographies : Vues de l'île des Pétrels et de l'archipel de Géologie.
Dumont d'Urville, une station météo presque comme les autres !
Mars 2009 : Dumont d'Urville, une station météo presque comme les autres !
En ce mois de mars, la lumière change, devient rasante. La glace, encore fine et fragile, se reforme petit à petit sur la mer. La rudesse du climat adélien s'est manifestée quelquefois au cours des dernières semaines, même si les conditions météo sont conformes à la saison estivale. Le 11 Février, nous avons enregistré un record de vent en altitude depuis notre arrivée : 280 km/h vers 9500 m d'altitude. Le plus remarquable était la tranche d'atmosphère déplacée : plus de 185km/h de vent sur 4000 m d'épaisseur. Le premier ballon que j'ai lâché pour le radiosondage a éclaté pour retomber ensuite très lentement. Le responsable ? Un courant-jet, un courant aérien très puissant qui circule sur un axe à peu près horizontal autour du globe entre 8 et 12 km d'altitude. Dans ce vent en forme de tube, la vitesse maximale peut dépasser 360 km/h. Le courant-jet se déforme constamment, mais évolue habituellement plus au Nord, à des latitudes plus basses, à la rencontre entre masses d'air tempérées et polaires.
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Des cumulus à Dumont d'Urville. Au fond, l'île Claude Bernard, au premier plan, un groupe de manchots s'apprête à plonger. | Le bâtiment Séjour un soir d'été austral |
La station Météo-France de la base Dumont d'Urville est dédiée à l'observation météorologique. Les mesures sont effectuées par les météorologues chaque jour, toutes les 3 heures, de 8h45 à 22h15 locales pour les paramètres suivants : température et humidité relative de l'air, pression, vitesse et direction du vent, rayonnement global et durée d'insolation. La nuit, une station automatique prend le relais. Nous nous intéressons également à la climatologie de la veille et notons les observations particulières comme la vitesse du vent qui viendront nourrir des bilans climatiques mensuels.
Autre tâche d'observation essentielle : le radiosondage quotidien qui ausculte l'atmosphère en altitude, jusqu'à 30 km environ. Chaque matin, nous lançons une sonde à l'aide d'un ballon en latex gonflé à l'hélium. Les deux éléments sont reliés à l'aide d'un dérouleur équipé d'un long fil (environ 40 m) qui stabilise l'attelage durant son ascension. Pendant le vol, la sonde envoie par radio les mesures de vent, température, humidité et pression relevées aux différents niveaux d'altitude chaque seconde. On obtient ainsi ce qu'on appelle un "profil" de l'atmosphère en un point, très utile pour connaître ce qui se passe au dessus de nos têtes, loin des mesures collectées au sol.
A Dumont d'Urville, le radiosondage est effectué tous les jours de l'année, sans exception, à 0hUTC (10h locales), quelles que soient les conditions météo. En général, nous préparons l'attelage vers 9h afin de bénéficier de temps supplémentaire en cas d'impondérable. Les données enregistrées par la sonde sont envoyées par satellite grâce à un message codé (message TEMP) à Météo-France Toulouse.
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Le bureau météorologique surmonté du mât anémométrique | Un lâcher de ballon (radiosondage) un matin d'été austral |
Toutes les données observées en Terre Adélie sont transmises via le réseau mondial de télécommunications de l'Organisation Météorologique Mondiale aux services météorologiques nationaux. Elles alimentent les modèles de prévision numérique des services de prévision, leur permettant de bien prendre en compte les caractéristiques de l'atmosphère sur cette partie du globe. Les mesures sont rares et précieuses sur les zones désertiques telles que les océans ou l'Antarctique, immense continent de 13 millions de km2. Il n'existe aucune autre station météo à moins de 1000 km à la ronde autour de Dumont d'Urville ! Et très peu de stations implantées en Antarctique réalisent des radiosondages.
Les données recueillies sont également fournies aux laboratoires de DDU - biologie marine, géophysique, glaciologie - qui en ont besoin pour leurs activités. En campagne d'été, le Bureau météo est régulièrement sollicité pour planifier les tâches logistiques de la base et fournir une assistance aéronautique à notre hélicoptère et aux avions qui assurent la liaison avec la base franco-italienne Concordia à 1000 km au cœur du continent. Nous installons de novembre à fin février sur la piste D10 aménagée sur le continent, à 10 km de DDU, un anémomètre pour y mesurer les conditions de vent. Grâce à ces données complémentaires, nous affinons nos messages aéronautiques (METAR) et étudions le régime des vents sur le continent, différent de celui de l'île des Pétrels.
L'équipe de Météo-France élabore chaque jour un bulletin de prévision, indispensable à la sécurité de la base. Toute sortie - notamment sur la banquise - doit en effet être précédée d'une évaluation des conditions météorologiques prévues. Le Bureau météo signe le formulaire soumis à notre chef de district (le responsable de DDU) pour approbation et assure ainsi la compatibilité de la sortie avec le temps prévu.
Le radiosondage quotidien nous permet de déterminer la hauteur du plafond nuageux, difficile à estimer ici en raison du manque de repères visuels, comme des montagnes, dans les environs. Dans certaines situations, il contribue à prévoir les vents violents (catabatiques) : une couche de l'atmosphère soumise à un vent très fort à quelques centaines de mètres au-dessus de la base peut précéder un épisode de vent violent sur la base.
Lancer une sonde peut se révéler délicat ici... surtout lorsque souffle le blizzard ! Le 23 février, une forte perturbation a touché l'île des Pétrels : 70 m de visibilité, la neige qui fouette avec des rafales à 100km/h. Dans de telles conditions, nous avons craint d'endommager la sonde ou de faire éclater le ballon s'il heurtait un rocher ou l'abri de gonflage. J'ai dû tenir fermement le ballon qui se déformait en tous sens, au bord de la passerelle. A la faveur d'une accalmie, j'ai pu effectuer le lâcher, l'attelage a tournoyé, puis s'est envolé sans encombre.
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23 février 2009 : le blizzard réduit considérablement la visibilité | Lâcher de ballon dans le blizzard le 23 février 2009 (Copyright Vincent Lecomte) |
Le blizzard désigne une tempête de neige au cours de laquelle les rafales de vent, chassant la neige, abaissent la visibilité à moins de 200 mètres. Il souffle dans les régions où l'hiver est rude, par exemple, au Canada. L'épisode du 23 février, qui a durée toute la journée, était le premier depuis notre arrivée. Le vent a soufflé jusqu'à 108km/h en rafales et la visibilité limitée à environ 70 m nous empêchait de distinguer le bâtiment Séjour depuis le Bureau météo.
Dans ces conditions, chacun limite ses déplacements sur la base ou observe alors la plus grande prudence. Les rambardes des passerelles permettent de s'accrocher pendant les plus fortes rafales et de passer ainsi d'un bâtiment à l'autre. Par blizzard, des congères se forment régulièrement aux mêmes endroits. Ces vents forts soufflent en effet toujours de la même direction, les amas de neige se constituent ainsi aux mêmes lieux, recouvrant parfois les passerelles. La neige a recouvert les cailloux libérés lors de la fonte estivale, nous plongeant sans transition dans une ambiance hivernale.
Le mois de mars marque le début de notre véritable hivernage. Le 27 Février après-midi, l'Astrolabe s'est éloigné de l'île des Pétrels avec à son bord les derniers campagnards d'été. Il sera de retour l'été prochain, en novembre. Le départ de cette embarcation devenue familière signifie concrètement l'isolement de la base Dumont d'Urville durant les 8 mois d'hiver. D'un seul coup, ma perception de ce lieu a complètement changé. Un immense espace s'offre brusquement aux 26 hivernants. Nous avons aussitôt reconfiguré le séjour, supprimé tables et chaises désormais inutiles. Le 1er mars, pour fêter le premier dimanche de notre hivernage, nous avons organisé sur la DZ, la zone où se posait l'hélicoptère quelques jours plus tôt, un déjeuner dans un décor de rêve !
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L'eau transparente au sud-est de l'île des Pétrels | Le Sud de l'île des Pétrels début mars 2009. Les cuves orange contiennent notre gazole pour l'hiver. |
Ce même jour a eu lieu une petite sortie qui me tenait à coeur depuis mon arrivée : une baignade à l'abri côtier. Avec l'aval de Laurence, la responsable de la Base Dumont d'Urville, et les recommandations de Caroline, notre médecin, les volontaires ont préparé maillots de bain, serviettes et thermos et sont descendus en file indienne sur la passerelle jusqu'au bord de l'eau. La baignade en été est une autre tradition à DDU, mais elle est bien entendu peu fréquente et nécessite une préparation rigoureuse et un encadrement compétent. Le choix de la date était judicieux : plein soleil, -4°C sous abri, pas de vent, température de l'eau de mer à -1.5°C d'après la sonde proche du marégraphe. J'étais assez curieux de connaître cette sensation - ça brûle - et je me suis baigné avec 11 autres adéliens. Une belle expérience, brève et tonique, qui donne un sacré coup de fouet !
François Gourand
et Isabelle Doudelle
Photographies : Copyright Météo-France/François Gourand
Remerciements à Vincent Lecomte, "campagnard d'été" à Dumont d'Urville, pour sa photographie du Lâcher de ballon dans le blizzard le 23 février 2009.
Aperçu du climat polaire de Dumont d'Urville
Mai-juin 2009 : Aperçu du climat polaire de Dumont d'Urville
L'été (austral) est fini ! A l'exception de dix jours gris en janvier et de quelques épisodes de neige, il a été ensoleillé et calme. Des conditions idéales pour découvrir cet environnement exceptionnel. Je suis frappé par le rapide raccourcissement des jours en mars, environ 8 minutes de moins par jour, soit près d'une heure par semaine. Il fait désormais nuit au dîner et les températures ont fortement baissé, entre -18°C et -14°C au petit matin. L'autre fait marquant : la glace progresse hardiment autour de l'île, pour le moment surtout dans les eaux calmes et peu profondes au sud. Sur cette banquise fragile et clairsemée, les manchots Empereurs se rassemblent déjà.
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Le 18 mars 2009 : la glace progresse dans la baie Lejay, à l'ouest de Dumont d'Urville | Manchots Empereurs près de l'île des Pétrels le 18 mars 2009 |
Samedi 21 mars, une des fameuses tempêtes du Grand Sud s'est déchaînée sur notre île. La veille, il a neigé abondamment avec des rafales de 80 km/h à 100 km/h dans la nuit. Au matin, une petite dépression a touché plein sud la base Dumont d'Urville. La pression a chuté brutalement de 17hPa entre 7h et 13h. Toute la matinée, le vent a soufflé à 120 km/h, avec une rafale maximale à 176km/h ! Au paroxysme de la tempête, le bâtiment Séjour grondait et vibrait : il nous fallait élever la voix pour nous entendre. Impressionnant !
Le samedi après-midi est habituellement consacré aux courses. Yannick, notre cuisinier, dresse la liste des vivres nécessaires pour la semaine à chercher aux "magasins" et rapporter au bâtiment Séjour. Cette petite manutention s'est transformée le 21 mars en expédition sportive. Impossible d'utiliser le 4x4 avec ces rafales et les imposantes congères sur la route. Revêtus de nos combinaisons, masques et gants, nous avons effectué le transport à dos d'homme en nous cramponnant aux rambardes... Soit près d'une heure pour un trajet d'à peine 200 mètres !
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Le 21 mars 2009 à 13h30 : -20°C, rafales à 150 km/h et faible visibilité pour "faire nos courses" | Déneigement des passerelles reliant le dortoir et le laboratoire de géophysique le 23 mars 2009 |
Ce premier épisode tempétueux rappelle que cette région est l'une des moins hospitalières de notre planète... L'Antarctique, immense continent de 14 millions de km2, est situé sur le Pôle Sud géographique. Recevant peu d'énergie solaire, le refroidissement y est permanent. En Antarctique, on distingue deux types de climat. Sur les hauts plateaux continentaux (jusqu'à 4000 m d'altitude), la température moyenne annuelle avoisine -60°C et le vent est faible. Sur le littoral, les températures sont plus élevées (-10°C en moyenne sur l'année) et des vents forts soufflent régulièrement.
La base Dumont d'Urville, installée sur l'île des Pétrels à quelques kilomètres du continent, jouit d'un climat relativement doux. Ici l'hiver est long (mai à septembre) et les saisons intermédiaires réduites : été (décembre à février), automne (mars-avril), printemps (octobre-novembre). La durée du jour varie de 24 heures entre le 7 Décembre et le 7 Janvier, à 2 heures le 21 Juin. Il n'y a donc pas, à proprement parler, de nuit polaire.
La température moyenne annuelle sur la base Dumont d'Urville est de -11°C, avec une moyenne mensuelle maximale de -1.2°C en janvier (été austral), et une moyenne mensuelle minimale de -17.6°C en juillet (hiver austral). Les records : 9.9°C le 30 décembre 2001 pour les maximales, et -37.5°C le 4 août 1990 pour les minimales. A Dumont d'Urville, nous sommes privilégiés avec une insolation moyenne annuelle de 2037 heures comparable à celle de Toulouse et supérieure à celle de Paris (à peine 1700 heures par an).
Sur le plateau antarctique, les précipitations sont quasiment absentes (de 20 à 50 mm par an seulement, essentiellement de la neige). A Dumont d'Urville, les mesures sont difficiles à effectuer : la neige est la plupart du temps balayée par le vent. Les météorologues comptabilisent en revanche les jours de neige, soit 100 jours par an en moyenne.
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Le 24 mars 2009, petits cumulus dans la baie Lejay, à l'ouest de Dumont d'Urville | Les Adéliens foulent la banquise au sud immédiat de l'île des Pétrels le 10 avril 2009 |
Sur Dumont d'Urville, le vent souffle 115 jours par an à plus de 100 km/h et approche ou dépasse chaque année 200 km/h. La vitesse record enregistrée date du 23 mai 1988 avec des rafales à 245 km/h. Le blizzard souffle en moyenne 39 jours par an, avec un minimum d'un jour par mois entre novembre et février.
DDU n'est pas située dans un couloir des terribles vents catabatiques (du grec katabatikos, "descendant la pente"). Ces vents violents s'accélèrent par gravité en dévalant les pentes des hauts plateaux antarctiques et peuvent atteindre 300 km/h sur les côtes. Ils se produisent majoritairement au passage des perturbations à l'automne et au printemps, périodes de forts contrastes thermiques entre l'air marin et l'air continental. Il existe des vents catabatiques dans d'autres régions du monde mais d'intensité et d'étendue bien inférieures à celles des vents antarctiques. A Port Martin, 60 km à l'Est de DDU, à proximité d'un de ces couloirs, le vent souffle en moyenne à 50 km/h contre 35 km/h à Dumont d'Urville.
Le climat de Dumont d'Urville, relativement clément par rapport aux autres régions antarctiques, impose toutefois aux hivernants quelques précautions. Un périmètre de sécurité est délimité par le responsable de la base et des évaluations régulières de l'état de la banquise sont menées afin d'élargir cette zone. Un homme peut marcher en sécurité sur une banquise de 30 cm d'épaisseur, pour un véhicule tout-terrain à chenilles 80 cm sont nécessaires. En juin, en plein hiver, la glace dépasse 1 m d'épaisseur autour de DDU et peut atteindre à la fin de l'hiver 1,80 m. Actuellement, la banquise est en cours de formation, notre périmètre reste donc limité à l'île des Pétrels. Pour chaque sortie, les consignes sont strictes : s'informer obligatoirement des conditions météorologiques au bureau météo et s'équiper d'une radio et de vêtements de rechange. Se changer en cas de chute dans l'eau se révèle indispensable : les vêtements mouillés gèlent quasi instantanément.
Nous passons moins de temps à l'extérieur en raison des conditions climatiques et de l'obscurité. Notre métabolisme s'adapte à ces changements, nous dormons plus longtemps à présent. Après le passage d'une tempête, les adéliens s'empressent de déneiger les passerelles englouties par les congères pour éviter le tassement de la neige, souvent glacée et glissante. Nous les empruntons chaque jour pour nous rendre du Dortoir au Séjour ou au Bureau météo. La couleur orange des passerelles et des bâtiments les rend plus visibles dans le blizzard, lorsque les rafales de vent, chassant la neige, abaissent la visibilité.
La première tempête de vent catabatique s'est abattue sur la base le 26 mars. Ce vent puissant (une rafale maximale à 162 km/h), turbulent et "haché" s'est révélé bien différent de celui d'une dépression, plus continu. Autre caractéristique : la très fine couche de neige balayée laisse apercevoir le soleil et le ciel clair. La tempête fait rage, tout près du beau temps. Les 28 et 31 mars, retour du blizzard avec des rafales maximales à 158 km/h et 126 km/h. Avec une température à -15°C, le ressenti est proprement glacial...
Avec le début de l'hivernage, nous organisons des activités à l'intérieur pour passer agréablement le temps. Un championnat de tarot réunit les amateurs chaque lundi. Les scores cumulés sur l'année désigneront un ou une champion(ne) à la fin de l'année. Nous programmons également des films dans le Séjour le dimanche ou le mercredi soir, ou encore des jeux de société. Après dîner, chacun s'occupe selon l'envie du moment. La préparation des anniversaires mobilise tous les hivernants, certains font d'ailleurs preuve d'une belle imagination pour agrémenter ces célébrations. Tous les lundis soirs, à 18h30, Laurence la responsable de la base, réunit les hivernants pour faire le point, notamment sur des aspects liés à la sécurité. Caroline, notre médecin, nous a d'ailleurs dispensé une formation aux premiers secours. Il s'agit de connaître les gestes à effectuer face à une hémorragie ou un étouffement, comment placer une personne blessée inconsciente en position latérale de sécurité ou encore utiliser un défibrillateur.
La vie au sein d'un groupe soudainement restreint (26 personnes depuis le 27 février) m'a un peu décontenancé les premiers jours. Nous étions très nombreux depuis notre arrivée en décembre dernier, la plupart du temps plus de 60 personnes. Une des règles de notre petite communauté : prendre nos repas tous ensemble. Même si parfois, le besoin de s'isoler se fait sentir. La vie à DDU ne constitue pas vraiment une expérience de la solitude, au contraire, il faut apprendre à vivre ensemble, en groupe, en tissant des liens différents avec chaque personne. En cela, ce début d'hivernage correspond assez à ce que j'avais imaginé : c'est une aventure de groupe avant tout.
François Gourand
et Isabelle Doudelle
Photographies : Copyright Météo-France/François Gourand
L'Antarctique, un laboratoire d'observation sans égal
Juillet-août 2009 : L'Antarctique, un laboratoire d'observation sans égal
Mai est le premier mois d'hiver à Dumont d'Urville. Nous avons pu le vérifier avec 14 jours de neige (la moyenne mensuelle se situe autour de 8 jours), 3 jours de blizzard et 6 jours de chasse-neige (neige balayée par le vent). La température est descendue en-dessous de -20°C. Mais la valeur la plus basse enregistrée date du 24 mai au matin : -24,4 °C. Le blizzard le plus violent depuis notre arrivée a soufflé le 21 mars, avec des rafales à 176 km/h. Des valeurs supérieures ont été enregistrées le 13 juin lors d'un épisode de vent catabatique remarquable : 144km/h en vent moyen avec une rafale à 187km/h ! La neige tombée en abondance forme, sous l'action du vent, des congères imposantes de plusieurs mètres de hauteur. Pour sortir du dortoir, nous devons parfois les escalader à l'aide d'une corde. Et surtout déneiger promptement les passerelles dès que les conditions s'améliorent.
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Vue à l'est de l'île Lamarck le 10 avril 2009 | Perturbation d'hiver sur la station Dumont d'Urville le 20 mai 2009 |
La durée du jour a considérablement raccourci. Le 18 mai, par exemple, le soleil s'est levé à 10h03, pour se coucher à...15h09. Le 15 Juin, il est apparu à 11h34 pour disparaître à 13h46 ! A ces hautes latitudes, l'aube et le crépuscule durent par bonheur longtemps. Par ciel dégagé, nous y voyons clair, avec une lumière rasante, de 10h à 15h environ. Les effets de l'obscurité quasi permanente se font cependant ressentir. Comme les autres hivernants, je suis un peu moins actif et le sommeil me gagne plus souvent dans la journée. L'isolement est bien supporté par tous, grâce aux moments de détente et de partage et à l'organisation minutieuse de notre temps.
Le périmètre des sorties sur la banquise a été élargi depuis début avril, au gré de la progression de la glace et des sondages réguliers de son épaisseur. Un tout nouveau territoire à découvrir après l'île des Pétrels dont nous avons parcouru les moindres recoins !
L'accès à l'archipel de Pointe Géologie est cependant réglementé. Six sites abritent des espèces animales et végétales protégées. Classés Zone spécialement protégée de l'Antarctique (1), leur accès est réservé aux scientifiques détenteurs d'un permis spécial, et parfois, aux hivernants les accompagnant.
Le 12 mai, j'ai posé, pour la première fois, avec une certaine émotion, le pied sur le continent antarctique. Nous étions plusieurs impatients à guetter la glace qui nous permettrait enfin, après 5 mois en Terre Adélie, de fouler ce continent mythique. Nous avons atteint le rocher baptisé Nunatak du Bon Docteur (1), situé au Sud de l'île des Pétrels, qui fait corps avec la langue glaciaire, pour admirer les magnifiques et dangereuses falaises dominant la baie Lejay. Les escalader est rigoureusement interdit : elles recèlent de nombreuses crevasses indétectables.
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Premiers pas sur le continent antarctique le 12 mai 2009 | Arrivée à 11h50 à la base de Cap Prudhomme sur le continent le 27 mai 2009 |
Le 27 mai, j'ai pris part à une expédition à la base annexe de Cap Prudhomme, avec Caroline, notre médecin et Yann, notre électricien, chargé de vérifier le fonctionnement des panneaux solaires. Installée à 5 km de Dumont d'Urville sur le continent, elle sert durant l'été de camp intermédiaire pendant les trois opérations de ravitaillement de la base permanente Concordia, à 1 100 km à l'intérieur des terres. Une équipe de trois personnes était requise pour rallier la base à pied sur une banquise de 60 à 70 cm d'épaisseur. Ainsi, en cas de difficulté de l'un d'entre nous, les deux autres pourraient lui porter secours. Nous avons bénéficié de conditions favorables pour cette longue marche de 4 heures : environ -14/-15°C, avec un faible vent catabatique sous le soleil. La progression sur la glace irrégulière était assez pénible à cause des congères et de la neige molle où les pieds s'enfoncent. La beauté des paysages nous a bien récompensés.
Un autre spectacle fascine tous les Adéliens depuis quelques semaines : les manchots empereurs. Dès l'apparition de la banquise, des colonnes entières, repérables même à grande distance, ont convergé chaque jour vers la manchotière, le lieu où ils se regroupent pour pondre et couver. Celle de Terre Adélie existait déjà lors du premier hivernage en 1952. Elle est située sur la banquise à proximité des îles les plus vastes de l'archipel de Géologie, à 1 km environ de la base. Observer ces animaux sauvages, parfois d'assez près (1), car ils sont curieux et intrépides, constitue une expérience inoubliable.
Le manchot empereur, le plus grand des manchots (1 à 1,15 m environ pour 20 à 40 kg), vit uniquement en Antarctique. En Terre Adélie, il est le seul oiseau qui se reproduit en hiver sur la banquise. D'autres espèces se reproduisent en été, sur les rochers de l'archipel (Pétrel des neiges, Damier du Cap, Océanite de Wilson, Skua Antarctique, Fulmar Antarctique, Pétrel Géant Antarctique et manchot Adélie). A la différence de nombreux oiseaux, les manchots empereurs, n'ont pas de territoire où se reproduire et à défendre contre leurs voisins. Ils ne construisent pas de nid, car ils incubent leurs oeufs sur leurs pattes. Pour résister à la rigueur de l'hiver austral, ils misent sur leur communauté. Ils vivent durant ces longs mois tous ensemble, serrés en masse compacte les uns contre les autres pour se réchauffer. Ces animaux très sociables se relaient périodiquement pour occuper les positions les plus excentrées et donc les plus exposées au froid.
La ponte a lieu en mai et se poursuit parfois jusqu'à début juin. Chaque femelle confie alors l'œuf au mâle puis retourne en mer reprendre des forces. Depuis mi-mai, nous voyons de petites colonnes de manchots quitter la manchotière. Les femelles se rassemblent, semblent attendre un signal, puis se dirigent plein Nord, vers la mer. Le 18 mai, un groupe de 150 individus, massé au bout du chenal du Lion, s'est mis en marche dès les premiers rayons du soleil. Pendant ce temps, le mâle, plus adapté aux températures extrêmes grâce à l'épaisse couche de graisse sous sa peau, jeûne en incubant. Au retour des femelles, en juillet, les parents se relaieront auprès de leur unique poussin. Le 3 mai, nous avons enfin aperçu les premiers oeufs, bien protégés sous le ventre des manchots.
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La manchotière le 29 mai 2009 | Manchots couvant leur oeuf le 3 mai 2009 (copyright Marion Kriloff) |
L'Antarctique constitue bel et bien un laboratoire d'observation irremplaçable et quasi intact de la biodiversité. La faune et la flore qui vivent ici résultent de l'évolution naturelle car l'Homme n'a pas introduit d'espèces dans cette région. Parmi les scientifiques de Dumont d'Urville, plusieurs spécialistes de la faune (2), dont Marion Kriloff, ornithologue-écologue du Centre d'Etudes Biologiques de Chizé (CNRS) et Céline Zimmer, ichtyologiste du Laboratoire d'Océanographie de Villefranche (CNRS).
Marion étudie les différentes espèces d'oiseaux qui se reproduisent dans l'archipel de Géologie dans le cadre d'un programme à long terme basé sur un comptage annuel. Elle a procédé en mai au comptage des manchots à l'aide de photographies de la manchotière traitées par ordinateur. Un deuxième comptage en juin se concentrera cette fois sur les mâles incubant. En avril 2008, 7 479 manchots (mâles et femelles) ont été dénombrés, et en juin, 3373 individus mâles. Marion effectue également des contrôles par baguage : les oiseaux ainsi identifiés peuvent être repérés l'année suivante et des informations complémentaires déduites (âge de l'individu, succès de la reproduction...). Grâce à ces observations, les scientifiques suivent l'évolution de ces espèces, tentent de comprendre l'impact des facteurs climatiques et humains sur leur reproduction et déterminent les mesures de protection et de conservation en Terre Adélie et en Antarctique.
Céline participe à une étude (3) consacrée à l'évolution et l'écologie des poissons du plateau Est Antarctique qui a débuté cet été par un volet océanographique entre Dumont d'Urville et le glacier du Mertz. En janvier, elle a réalisé des prélèvements de plancton, en surface et en profondeur, avec un filet à maille très fine appelé Omori. Puis, à l'aide du R.O.V, un robot vidéo sous-marin, elle a cette fois observé les fonds autour de l'île des Pétrels jusqu'à 200 mètres.
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Prélèvement au trou de pêche juin 2009 | Un poisson parfaitement adapté : le Notothénia coriiceps mai 2009 |
Cet hiver, Céline se concentre sur les poissons se nourrissant de zooplancton sous la banquise. Le 14 avril, elle a foré dans la banquise un "trou de pêche", d'un mètre de côté, à 500 m de l'île des Pétrels. Cette ouverture, pratiquée au même endroit chaque année, permet les comparaisons d'une année sur l'autre. Céline y poursuivra ses prises et mesures grâce à un treuil tout l'hiver : données océanographiques jusqu'à 40 m (température, pression, salinité...), échantillons d'eau à 2 m pour l'étude du phytoplancton, pêche au filet de zooplancton du fond à la surface et carottages de glace de mer contenant diverses espèces animales. Les poissons pêchés à l'aide de filet trémail, casiers et palangre sont mesurés, pesés, sexés et disséqués afin de recueillir leur contenu stomacal. Le but : étudier la chaîne alimentaire (phytoplancton - zooplancton – poissons) (4) du milieu marin local.
Près de 20 000 espèces de poissons sont répertoriées dans le monde, 200 seulement dans l'océan Austral. Parmi elles, deux espèces singulières sont remarquablement bien adaptées au milieu polaire. Le poisson des glaces ou Channichthyidae est d'un blanc fantomatique dû à son sang dépourvu d'hémoglobine. L'oxygène se dissout directement dans le plasma mais en faible quantité. Son muscle cardiaque très développé compense en assurant une circulation sanguine plus intense. Le Notothenia se révèle capable de vivre dans une eau à température négative. Il fabrique des protéines agissant comme un antigel : elles dissolvent les petits cristaux de glace qui provoqueraient la coagulation du sang.
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La passerelle à la sortie du dortoir ensevelie sous une congère le 3 mai 2009 | 30 ans à Dumont d'Urville ! le 30 mai 2009 |
Le dernier samedi de mai, j'ai fêté mes 30 ans à Dumont d'Urville, en Antarctique, en compagnie de 25 Adéliens et de milliers de manchots Empereurs ! Un moment spécial, dans ce lieu hors du commun. Je repense au petit garçon, plongé la plupart du temps dans un atlas, qui rêvait avec curiosité et envie de l'Antarctique, ce lieu inaccessible, sans population, sans capitale, sans monnaie... Peu avant midi, les Adéliens m'ont réservé une surprise : la passerelle entre le dortoir et le séjour porte désormais mon nom, en l'honneur de mes efforts énergiques et constants pour la débarrasser des congères successives. Après avoir lancé un ballon-sonde, je me suis attelé à la préparation de tartes aux fruits avec la complicité de Vincent, notre boulanger-pâtissier. Nos réserves de produits frais étant épuisées depuis fin avril, j'ai choisi un assortiment de fruits surgelés : poires, ananas, cerises, abricots, groseilles et myrtilles. Ces gâteaux - mes tout premiers - étaient de l'avis de tous délicieux.
Nous approchons avec une certaine impatience des fêtes de la Midwinter qui célèbrent le 21 juin, au solstice d'hiver, la moitié de notre hivernage et le rallongement des jours. Ce jour sera le plus court : 121 minutes de soleil !
François Gourand
et Isabelle Doudelle
Tous nos remerciements à Céline Zimmer et Marion Kriloff qui ont aimablement répondu aux questions de la Rédaction pour ce numéro.
1 – Le Protocole de Madrid (1991) assure la protection globale de l'environnement en Antarctique et des écosystèmes dépendants et associés. L'Antarctique est ainsi désigné « réserve naturelle consacrée à la Paix et à la Science ». La circulation y donc réglementée. Six sites de l'archipel Pointe Géologie sont classés dans la Zone Spécialement Protégée de l'Antarctique n° 120 : les îles Claude Bernard, Lamarck, Jean Rostang et Le Mauguen, ainsi que le Nunatak du Bon Docteur et la colonie de manchots empereurs. L'accès à cette zone est strictement réservé aux scientifiques détenteurs d'un permis particulier. J'ai pu y pénétrer exceptionnellement en accompagnant les biologistes de la base Dumont d'Urville et en respectant les consignes (notamment une distance minimale de 30 m).
2 – La base Dumont d'Urville accueille 4 scientifiques spécialistes de la faune : trois d'entre eux s'intéressent aux oiseaux et le quatrième à la faune marine.
3 – L'étude ICO²TA : Integrated Coastal Ocean Observations in Terre Adélie
4 – La chaîne alimentaire du milieu marin peut être résumée ainsi :
Le phytoplancton : base du système alimentaire constitué de petits organismes d'origine végétale (algues et mousses). Il se développe à profusion en été, avec le retour du soleil et la fonte des glaces, et nourrit une faune variée : étoiles de mer, oursins et krill par exemple.
Le zooplancton : petits organismes d'origine animale, se nourrissant de phytoplancton. Il est constitué notamment du krill, de copépodes (petits crustacés). Il sert de nourriture de base aux poissons, phoques, manchots et autres oiseaux.
Photographies : Copyright Météo-France/François Gourand
Manchots empereurs couvant leur oeuf : Copyright Marion Kriloff
Liens complémentaires
Protocole de Madrid
Centre d'Etudes Biologiques de Chizé (CNRS)
Laboratoire d'océanographie de Villefranche (CNRS)
Le soleil est de retour !
Novembre 2009 : Le soleil est de retour !
Depuis le 21 juin, la durée du jour a augmenté sensiblement. Dès juillet, nous avons gagné deux heures de lumière. Le retour du soleil a été salué avec bonheur par tous les adéliens ! Le solstice d'hiver a marqué le début officiel de notre Midwinter, une semaine de fêtes qui célèbrent la moitié de notre hivernage et le rallongement des jours. La plupart des bases antarctiques fêtent la Midwinter et échangent à cette occasion des emails ou des fax de Joyeuse Midwinter. Nous avons à cet effet conçu une carte postale à partir d'une photographie prise lors d'une soirée hawaïenne au début de l'hivernage.
Notre Midwinter a démarré par une descente aux flambeaux sur la banquise, suivie d'un splendide feu de la Saint Jean sur glace à la piste du Lion. Nous avons ensuite, toute la semaine, organisé des activités variées et ludiques, dès que le temps le permettait : parties de foot et de pétanque sur la banquise, joutes de pulka (traineau) ou de tir à la corde, etc. mais aussi concerts et soirées à thèmes divers et farfelus. Cette parenthèse festive nous a fait grand bien. Les préparatifs (décors, costumes, jeux, quizz…) nous ont mobilisés durant de longues semaines, rompant notre quotidien. Surtout, la « Mid » comme disent les Adéliens nous indiquait un horizon à moyen terme dans cet hiver austral de 5 mois (mai à septembre).
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La carte de Joyeuse Midwinter 2009 de la TA59 le 22 juin 2009 | 15h : le soleil vient de se coucher sur Dumont d'Urville le 13 juillet 2009 |
Parvenu enfin à mi-chemin de cette aventure en Terre Adélie, j'ai été surpris : 4 mois avaient passé depuis le début de l'hivernage. Un brusque changement de perception s'est opéré. J'ai envisagé le terme de l'hivernage, l'arrivée des campagnards d'été, le retour. Le temps a commencé de s'écouler à une autre vitesse. Je dois préciser ici que la période hivernale se révèle pesante précisément à l'approche de la Midwinter. L'obscurité quasi permanente durant de longues semaines réduit la vitalité, assombrit parfois l'humeur et peut réveiller un sentiment de solitude. Les journées de blizzard, avec leur luminosité quasi nulle, leur ciel bas chargé et le confinement obligé, ne me manqueront pas vraiment !
Le 20 juillet, je me suis réjouis comme jamais : à 10h30 du matin, après le lever du soleil, j'ai pu éteindre la lumière dans mon bureau ! On y voyait enfin, sans lumière artificielle. Quelques rayons ont même pénétré dans la pièce en passant au-dessus de la congère devant le bâtiment.
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La porte ouest du bâtiment séjour avant et après le déneigement le 20 août 2009 | Perturbation hivernale le 23 août 2009 |
Après la Midwinter, l'autre événement majeur de l'hiver austral en Terre Adélie s'est manifesté tout début juillet : la naissance des manchots empereurs. Nous avons entendu notre premier poussin le 3 juillet, après 3 jours de tempêtes nous interdisant toute sortie. Les naissances se sont poursuivies durant tout le mois. Par vent calme, leurs cris aigus parvenaient jusqu'à la base. Les jeunes restent à la manchotière jusqu'à la fin de leur mue, entre mi-décembre et début janvier. Ils mangent exclusivement la nourriture régurgitée par leurs parents : du krill, des céphalopodes et des petits poissons réduits en bouillie. Marion, notre ornithologue, a comptabilisé cette année 7123 empereurs adultes, un chiffre légèrement supérieur aux années précédentes. L'année dernière, la manchotière abritait 2500 poussins.
En septembre, la manchotière, peuplée de jeunes empereurs chaque jour plus aguerris, s'est mise en mouvement. Les poussins, de tailles et de corpulences inégales, ont quitté les douillettes pattes de leurs parents pour former de véritables "crèches", assez agitées. Le spectacle est vraiment amusant. Malgré leurs courtes pattes, ils gambadent, galopent même, poursuivis par leurs parents, mais aussi par des manchots sans petit, qui suivent par instinct un poussin égaré. Gare aux rapts ! Ainsi qu'aux pétrels géants, ces redoutables prédateurs qui sont revenus rôder aux abords de la manchotière.
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La manchotière et ses jeunes de corpulences inégales le 26 septembre 2009 | Regroupement de poussins empereurs le 16 septembre 2009 |
L'hiver austral touche à sa fin, le soleil nous éclaire maintenant durablement lorsque la couche nuageuse se disperse. Je viens de terminer le bilan climatique de la station de Dumont d'Urville. Le phénomène remarquable de cet hiver en Terre Adélie a été la douceur. L'hiver 2009 se place au troisième rang des hivers les plus doux depuis 1956, début des mesures à Dumont d'Urville. Les températures de juillet, août et septembre ont été nettement plus élevées que les normales, avec un écart à la moyenne de référence de respectivement +4.5°C, +2.0°C et +1.1°C.
Juillet 2009, avec une température moyenne de -11.7°C, arrive en seconde position (derrière juillet 1990) parmi les mois de juillet les plus chauds depuis 1956. Le seuil des -30°C est franchi environ une année sur deux en Terre Adélie, avec un record de froid absolu de -37,5°C (4 août 1990). Pour la première fois depuis 1956, la température minimale à la fin juillet n'était pas descendue en dessous de -25°C. Le dimanche 2 août, à 7h30, la température a finalement atteint -25.3°C. La station de Dumont d'Urville a même enregistré -0,1°C le 2 juillet. Il faut remonter au 5 juillet 1990 pour trouver une valeur comparable (+0.1°C ) en plein hiver austral. Cette douceur alliée au mauvais temps a causé un dégel et une importante débâcle qui a conduit la mer aux portes de DDU. Il s'agissait d'une polynie, une zone de mer libre, entourée par la banquise, qui se forme sous l'action de vents persistants soufflant vers le large. Notre circulation hors de l'île a été durablement restreinte. Avec ces températures, la banquise a tardé à se reformer et des portions étendues, à l'épaisseur insuffisante pour notre sécurité, étaient inaccessibles.
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10h35, soleil trompeur sur la base, avant l'arrivée du vent et de la neige le 31 août 2009 | François au sommet d'une des îles de l'archipel Géologie le 5 septembre 2009 |
L'ensoleillement s'est révélé généreux cet hiver, avec un niveau record toujours en juillet de 51 heures cumulées (soit deux fois la normale) et 10 jours d'insolation continue. Autre fait météorologique marquant : le 4 septembre, la pression réduite au niveau de la mer a atteint 1029.2 hPa. Cette valeur, commune en métropole, est une des plus élevées enregistrées à DDU où la pression moyenne se situe à 988 hPa et le record à 1033.5 hPa (le 4 Juillet 1982).
Ce bilan relativement clément ne doit pas vous tromper : la rigueur de l'hiver antarctique s'est tout de même montrée à de nombreuses reprises ! Si Juillet compte seulement 3 jours de blizzard, août et septembre nous ont offert 13 jours de blizzard et 15 jours avec mur de neige... Le mois le plus venteux ? Août avec 17 journées durant lesquelles les rafales ont dépassé 100 km/h. Une forte tempête s'est déchaînée le 6 août sur Dumont d'Urville : la pression est descendue à 952hPa. Notre anémomètre a relevé une rafale à 187 km/h pour la troisième fois de notre séjour (après le 13 juin et le 27 juillet). Des épisodes d'une pareille intensité ont fait véritablement vibrer et trembler les bâtiments et leurs habitants !
Septembre est arrivé, l'avant-dernier mois d'hivernage. Notre rentrée à nous adéliens : l'après Terre Adélie se profile, avec en premier lieu des questions logistiques, le voyage de retour et le départ de la base qui seront fixés prochainement. Je réalise que vivre ici est une chance merveilleuse et contre toute attente… courte ! Bientôt, d'ici environ un mois, l'Astrolabe accostera et les hélicoptères déchargeant hommes et matériel commenceront leurs rotations…
François Gourand
et Isabelle Doudelle
Photographies : Copyright Météo-France/François Gourand
Une aventure inoubliable
Janvier 2010 : Une aventure inoubliable
Avec le printemps austral (octobre et novembre), un réchauffement brutal s'est opéré associé au rallongement du jour jusqu'à la disparition progressive de l'obscurité. Cette rapide transformation constitue à mes yeux un des événements extraordinaires de cet hivernage. Fin octobre, subsistait une pénombre de quelques heures. Depuis fin novembre, il fait parfaitement clair toute la nuit, même lorsque le soleil est passé derrière le continent durant 2 ou 3 heures.
La vie a repris ses droits sur l'archipel avec le retour de la faune estivale. Le 18 octobre, nous avons repéré quelques manchots Adélie, arrivés en éclaireurs. Peu après, ils ont convergé massivement, jusqu'à 40 000 individus en une dizaine de jours. Ces oiseaux d'à peine 60 cm pour 3,5 (en période de jeûne) à 5 kg vivent tout autour du continent antarctique et portent le nom du lieu où ils ont été découverts.
Le 24 septembre, le départ est devenu concret avec l'annonce des dates d'embarquement sur l'Astrolabe de chaque hivernant. Je fais partie du 3ème voyage fixé le 22 janvier avec 11 autres adéliens de la TF59. Lors de sa première rotation en octobre (RO), l'Astrolabe reste fréquemment bloqué par les glaces à plusieurs dizaines de kilomètres de la base. Les hélicoptères à son bord permettent de décharger passagers et matériel durant l'immobilisation du bateau. A cette période, l'équipe météo surveille donc de près l'état de la banquise au large, pour aider le bateau à s'approcher.
L'Astrolabe n'a, cette année encore, pas pu franchir le pack, même dans la partie la plus mince d'après les images satellite. Il a été immobilisé à environ 100 km, à une demi-heure de vol. Notre hivernage a pris fin officiellement jeudi 29 octobre, à 11h49, à l'instant où l'hélicoptère s'est posé sur la base. Michel, un responsable de la logistique polaire, a été notre premier contact avec l'extérieur depuis le 27 février 2009. Le second hélicoptère était plein à craquer de courrier et de vivres. Sur DDU, des chaînes humaines ont été organisées pour décharger rapidement l'appareil à chaque voyage. Au déjeuner, nous avons dégusté, ravis, nos premières salades fraîches depuis de longs mois, ainsi que des kiwis, des pamplemousses et des pommes....
Le dîner a réuni ce soir-là 44 convives, dont les 3 premiers hivernants de la TA60 et des campagnards d'été. Presque le double de notre petite (26) communauté d'hivernants ! Le volume sonore, brusquement décuplé, m'a un peu surpris les premières heures. Le lendemain, après une accalmie d'un mois, une tempête assez intense a touché DDU. Les arrivants fraîchement débarqués ont ainsi découvert le blizzard, caractéristique du climat local.
Le 11 décembre, 20 hivernants de la TA60, dont la relève météo, ont débarqué également par hélicoptère, le bateau bloqué cette fois à cinquante kilomètres de DDU. A deux exceptions près, chaque membre de la TA59 a accueilli son successeur, pour l'équipe de météorologues, Jean-Baptiste qui me remplace, ainsi que Jean-Paul et Didier. Le temps de la relève et de la passation de consignes a débuté !
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Notre hivernage s'achève avec l'atterrissage de l'hélicoptère Le 29 octobre 2009 | Les campagnards d'été sont accueillis à DDU par le blizzard Le 30 octobre 2009 |
Second Noël à Dumont d'Urville, en plein… été ! Nous étions alors un peu plus de 70 personnes à partager un délicieux dîner dans un Séjour décoré pour l'occasion de deux sapins et pourvus de deux hottes à cadeaux. J'ai vu arriver de nouvelles têtes avec plaisir. Mais la transition entre l'hivernage et la campagne d'été a été soudaine et inattendue, sans doute à cause de l'incertitude des arrivées. Quelques jours au moins sont nécessaires pour s'adapter à ce nouveau contexte et à la fin de l'hivernage. La base est devenue bruyante et s'est aussi étrangement rétrécie.
J'ai réalisé la fin de notre aventure lors du départ du premier hivernant de la TA59 le 4 novembre. Dimanche 20 décembre, 5 autres membres, dont mes deux collègues météorologues Jean-Philippe et François ont rejoint l'Astrolabe. Moment émouvant. Une page est tournée, mais reste une longue attente un peu pesante entre les rotations de l'Astrolabe et mon propre départ.
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Déneigement vigoureux de la herse au Cap Prudhomme sur le continent Le 10 octobre 2009 | Berg bleu étonnant au Nord-Est de la base Le 18 octobre 2009 |
Cette fin d'année a été particulièrement calme et ensoleillée. Le mois de septembre a été plus doux que la normale (+1.1°C), avec un vent moyen plutôt faible et 5 jours de blizzard. L'ensoleillement excédentaire de 20% nous a offert 8 jours d'insolation continue. Une valeur record de pression moyenne pour un mois de septembre a été enregistrée : 996 hPa. Octobre a été plus froid que la normale (-0.5°C) et sec. Le vent moyen a été plutôt faible, avec 1 seul jour de blizzard. En revanche, nous avons bénéficié d'un ensoleillement record (30% d'excédent) et de 13 jours d'insolation continue. Novembre a été doux (+0.5°C) et contrasté : une première quinzaine froide et la seconde douce. Très sec, ce mois ne compte aucun jour de neige, une première pour un mois de novembre depuis 1956. Le vent moyen a été relativement faible, avec une rafale maximale à 119km/h. L'ensoleillement excédentaire de 20% avec 15 jours d'insolation continue est proche des records. Enfin, aucun jour de blizzard à signaler, ni même de chasse-neige !
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Dernière visite à la manchotière : les poussins achèvent leur mue Le 13 Décembre 2009 | La mer gagne du terrain sous un beau soleil Le 14 décembre 2009 |
Toutes les conditions étaient réunies pour de belles sorties autour de la base : quelle chance ! J'ai pris part le 10 octobre à une expédition sur le continent, vers la piste D10 au-dessus de la base annexe de cap Prudhomme utilisée pour rallier la station Concordia. L'objectif consistait d'une part à déneiger une grande herse destinée à niveler la piste, d'autre part, à monter un mât équipé d'un anémomètre. Cet instrument fournira des mesures de vent indispensables pour l'atterrissage des avions.
Le 14 novembre, la température, positive tout l'après-midi, a atteint +0.9°C, une valeur mesurée la dernière fois en février 2009. J'ai décidé de m'attaquer aux restes de la congère de « ma passerelle ». L'escalier creusé depuis plus d'un mois et devenu verglacé était peu praticable. Je me suis mis à l'ouvrage pour la dernière fois de mon séjour, avec l'aide cette fois de deux adéliens. A 17h, la circulation entre le Séjour et le Dortoir était redevenue fluide et sans danger !
Le 13 décembre, j'ai profité des excellentes conditions climatiques pour aller contempler la manchotière. Le chemin sur la banquise se révèle de moins en moins sûr : des flaques d'eau étendues apparaissent ça et là. Les jeunes poussins empereurs ont presque atteint la taille adulte et achèvent leur mue. Ils partiront en mer d'ici fin janvier, comme leurs aînés... C'est la dernière fois qu'il m'était donné d'admirer ces oiseaux. Le 16 décembre, des rafales de vent de l'ordre de 80km/h ont rompu la fragile banquise au pied de l'île des pétrels. La débâcle s'est poursuivie, libérant progressivement la mer et coupant l'accès à la manchotière.
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Les premiers poussins Adélie Le 23 décembre 2009 | 1er janvier 2010, c'est le plein été à Dumont d'Urville : 4,2°C en début d'après-midi |
Les 1er et 2 janvier, nous avons eu un temps superbe. Même si janvier est le mois le plus chaud, les conditions changent vite. Aussi, nous avons rejoint la pointe Nord-Est du Lion pour admirer le magnifique paysage de bergs issus du glacier de l'Astrolabe. La beauté des paysages et de la faune n'a cessé de me surprendre, tout au long de cette année. Je suis toujours aussi émerveillé par les lumières, les contrastes, les reflets que je découvre encore. La variation saisonnière de la lumière et de la durée du jour est ici extraordinaire.
Avec janvier le compte à rebours est lancé : mon départ pour Hobart est prévu le 22. J'ai rédigé une bonne partie de mon rapport de fin de mission et commencé à ranger mes affaires. L'Astrolabe a réussi, à son troisième voyage, à accoster à la piste du Lion, enfin libérée des glaces, le 5 janvier sous une splendide lumière. Il repartira une dizaine de jours pour réaliser des mesures océanographiques (*). Puis, ce sera le voyage de retour…Ma passion pour les environnements polaires est intacte. Je suis heureux d'avoir vécu cette année en Antarctique et je n'appréhende pas vraiment le retour à la civilisation tant j'ai hâte de raconter « ma » Terre Adélie.
Pour partager mes impressions sur ce séjour d ‘une année, voici quelques événements marquants…
L'événement le plus drôle ?
La Midwinter et ses festivités ! Sinon, certaines parties de coinche ont bien égayé mon quotidien adélien.
Le plus magique ?
L'arrivée sur la base un soir de plein soleil, avec plus de 4°C à l'ombre, sans vent. Tout était nouveau et merveilleux. Nous nous sommes dirigés tout de suite vers la manchotière, en plein soleil, à 23h passées : vraiment magique.
Le plus effrayant ?
C'est effrayant de constater qu'ici aussi, les jours passent si vite !
Le plus triste ?
J'ai appris début juin en lisant une dépêche AFP le décès d'un grand-oncle qui m'a beaucoup inspiré, le professeur Jean Dausset (prix Nobel de médecine en 1980). Il est difficile d'être loin des proches dans ces circonstances.
Le plus joyeux ?
Toutes les soirées ainsi que leurs préparatifs. J'ai un souvenir mémorable du jour où j'ai accompagné à la batterie Guigui lors d'un concert improvisé, le jour de son anniversaire.
Le plus incongru ?
En fin d'hivernage, j'ai aperçu par la fenêtre du bureau météo un manchot Adélie marcher! Il parcourait simplement le sommet d'une très haute congère…
Le plus surprenant ?
Un jour de juillet, au trou de pêche, un vent catabatique s'est brusquement abattu sur nous à une vitesse de l'ordre à 140 km/h en pointe. Heureusement, il s'est révélé suffisamment irrégulier pour nous laisser remonter à la base dans des conditions acceptables !
Le plus irréel ?
Cet environnement est tout entier éloigné de la réalité connue. Mais entendre le bruit des vagues ou sentir l'iode paraît absolument irréel, après de longs mois où tout est figé dans la glace. Les repas assourdissants au séjour tandis que dehors le vent hurle avec des rafales supérieures à 180km/h...
Le plus fatiguant ?
Début juillet, d'abondantes chutes de neige ont déposé une couche d'1 m sur l'archipel. Nous avons dû rehausser le coffrage du trou de pêche enseveli. Et pour cela traîner une pulka chargée de lourdes planches, en pataugeant dans la neige fraîche parfois jusqu'à la taille, sur plusieurs centaines de mètres !
Le plus fort ?
Le départ de l'Astrolabe le 27 Février 2009, signifiant le début de l'hivernage. Instant solennel. Nous serions seuls durant 8 mois sur notre caillou, isolés du monde.
François Gourand
et Isabelle Doudelle
(*) Pour les campagnes de recherche suivantes :
ICO²TA (Integrated Coastal Ocean Observations in Terre Adélie)
Albion (Adelie Land Bottom water and Ice Ocean iNteraction)
CETA (Distribution des cétacés en Terre Adélie)
Photographies : Copyright Météo-France/François Gourand